Dr. Marco V. Benavides Sánchez.
Imaginons cette situation : vous venez de recevoir un diagnostic de carcinome papillaire de la thyroïde, le type le plus fréquent de cancer thyroïdien. La bonne nouvelle est que, dans la plupart des cas, ce cancer a un pronostic favorable et peut être traité avec succès par chirurgie. Mais avant d’entrer au bloc opératoire, une question cruciale se pose :
Faut-il aussi retirer les ganglions lymphatiques centraux du cou, ou suffit-il d’enlever uniquement la glande thyroïde ?
Cette décision n’est pas simple. Si l’on retire plus de tissu que nécessaire, on prend le risque de léser des structures très délicates comme les cordes vocales ou les glandes parathyroïdes, qui régulent le calcium dans l’organisme. Mais si l’on laisse en place des ganglions déjà atteints par le cancer, la maladie peut revenir et nécessiter une nouvelle opération.
Depuis des années, les médecins utilisent l’échographie et la tomodensitométrie (scanner) pour essayer de prévoir si les ganglions lymphatiques centraux sont touchés. Pourtant, ces examens n’offrent pas toujours une réponse claire. Parfois, l’échographie ne permet pas d’explorer suffisamment en profondeur, et le scanner n’est pas parfait pour détecter de petites métastases.
Un nouvel allié : l’intelligence artificielle
C’est ici qu’intervient une avancée scientifique très prometteuse. Une équipe de chercheurs chinois, dirigée par Shidi Miao, a récemment publié dans Artificial Intelligence in Medicine (2025) un modèle d’intelligence artificielle conçu pour nous aider à prendre cette décision difficile.
Leur proposition s’appelle SCLResNet et DSAF, un nom technique qui peut sembler compliqué, mais que l’on peut expliquer simplement :
- Le modèle analyse les images échographiques de la tumeur thyroïdienne.
- Il étudie aussi la graisse entourant les vaisseaux sanguins sous la glande (appelée tissu adipeux péri-vasculaire), à partir de scanners. Bien que cette zone ne soit généralement pas examinée en détail en pratique clinique, elle semble donner des indices importants sur une éventuelle propagation du cancer.
- Enfin, il intègre les informations cliniques du patient, comme l’âge, le sexe, la taille de la tumeur et l’éventuelle extension au-delà de la thyroïde.
Toutes ces données ne sont pas considérées séparément : le réseau neuronal les combine et « décide » de ce qui est le plus important grâce à une technique appelée attention profonde. En d’autres termes, le système apprend à pondérer chaque information pour prédire si les ganglions lymphatiques centraux sont atteints.
Quelle fiabilité pour ce modèle ?
Les résultats sont encourageants. Dans les tests internes, le modèle a atteint une grande précision (AUC de 0,863), et dans les tests externes — c’est-à-dire sur des patients différents de ceux utilisés pour l’entraînement — la performance est restée robuste (AUC de 0,839).
Aire sous la courbe (AUC) : Pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec ce type de mesures, il suffit de dire que les valeurs proches de 1 indiquent d’excellentes performances, tandis que les valeurs proches de 0,5 sont associées à des prédictions à peine meilleures que le hasard.
Le plus impressionnant : le modèle a surpassé les radiologues humains, en réduisant à la fois les faux positifs (quand on pense qu’il y a un cancer alors qu’il n’y en a pas) et les faux négatifs (quand on manque une métastase).
Cela signifie que, dans un avenir proche, les médecins pourraient disposer d’un outil les aidant à décider plus sereinement s’il faut réaliser une chirurgie plus étendue ou se limiter à l’essentiel.
Qu’est-ce que cela change pour les patients ?
Pour vous, en tant que patient, ce type de progrès pourrait représenter deux avantages précieux :
- Moins de risque de chirurgie inutile. Si le modèle montre qu’il n’y a pas de métastase dans les ganglions centraux, on peut choisir une intervention plus conservatrice.
- Plus de certitude lorsqu’une intervention est nécessaire. Si le système indique une forte probabilité de métastase, on peut planifier dès le départ une chirurgie plus complète et éviter une seconde opération.
Dans les deux cas, la qualité de vie s’améliore car les décisions sont prises avec plus de précision et moins d’incertitude.
Un avenir en construction
Il est important de préciser que ce modèle est encore au stade de la recherche. Avant de pouvoir être utilisé de façon routinière dans les hôpitaux, il faudra réaliser davantage d’études dans différents pays et sur diverses populations. Nous devons aussi réfléchir à la manière d’intégrer ces outils dans la pratique quotidienne, toujours comme un soutien à l’expertise médicale, et non comme un remplacement.
Cependant, les perspectives sont porteuses d’espoir. Nous entrons dans une ère où l’intelligence artificielle ne remplacera pas le jugement clinique, mais deviendra un allié permettant de voir des détails invisibles à l’œil humain.
Une réflexion finale
En tant que médecin, j’aime comparer l’intelligence artificielle à un microscope des données : elle nous aide à découvrir des signaux cachés dans les images et les informations cliniques. Et si cela signifie que vous pouvez bénéficier d’une chirurgie plus précise, avec moins de risques et de meilleurs résultats, alors nous avançons dans la bonne direction.
Le cancer de la thyroïde, bien que l’un des plus traitables, continue de poser des questions difficiles. Mais aujourd’hui, nous avons une raison supplémentaire d’espérer : la science développe des outils qui nous permettent de prendre des décisions plus sages et plus attentives, en gardant toujours à l’esprit ce qui compte le plus : votre bien-être et votre vie.
Pour en savoir plus
- Miao, S., Jiang, Y., Huang, W., Jiang, Y., Sun, M., Wang, M., Qi, H., Li, A., Liu, Z., Wang, Q., Wang, R., & Ding, X. (2025). SCLResNet and DSAF: A self-supervised contrastive learning and deep self-attention fusion-based multimodal network for predicting central lymph node metastasis in papillary thyroid carcinoma. Artificial Intelligence in Medicine, 150, 103280. https://doi.org/10.1016/j.artmed.2025.103280
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